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La face cachée des institutrices rurales



par Geneviève Piché

Article paru dans la revue La Laurentie, printemps 2010, numéro 7


Durant plus d'un siècle, des centaines de jeunes femmes se sont dévouées à la cause de l'enseignement. Pour certaines, ce fut le plus beau métier du monde. Gabrielle Roy l'a d'ailleurs immortalisé dans un de ces romans, Ces enfants de ma vie. Pour d'autres, la tâche fut pénible, voire cauchemardesque. Plusieurs d'entre elles nous ont légué des récits sur la vie d'une institutrice rurale, levant ainsi le voile sur un métier souvent méconnu dans l'histoire de notre région. Démystifions ensemble ce qu'était la vie d'une maîtresse dans une école de rang !

Au XIXe et XXe siècle, le principal débouché qu'offre le marché du travail pour les jeunes femmes instruites est l'enseignement. Afin de devenir maîtresse d'école, elles doivent d'abord fréquenter un couvent, puis passer les examens du Bureau des examinateurs catholiques, ou encore étudier à l'École normale afin d'obtenir un diplôme. Très vite, les femmes vont surplomber les hommes dans le domaine de l'enseignement, surtout en milieu rural. Dès 1850, elles représentent plus de la moitié du personnel du réseau scolaire public et cette proportion ne cessera d'augmenter. Alors que les institutrices, le " sexe faible ", se concentrent dans les classes primaires, avec les plus jeunes, leurs homologues masculins s'occupent des niveaux supérieurs et pourvoient les postes d'inspecteurs.

Pour obtenir un poste, l'institutrice rurale se doit d'être célibataire. Les femmes mariées sont alors mal vues dans l'enseignement. Elle enseigne de la première à la neuvième année, et ce dans la même classe. Elle dispense tout d'abord un enseignement religieux, le catéchisme, puis des rudiments qui touchent un peu à tout (grammaire, calcul, agriculture, instruction civique, hygiène, bienséance, économie domestique). Les inspecteurs vérifient une fois par année à la fois la propreté des lieux et les connaissances des élèves. Les succès ou les échecs sont automatiquement reliés à l'institutrice, puisque c'est à elle, et non aux parents, à leur apprendre leurs leçons.

Toutefois, la tâche d'une institutrice en milieu rural demeure exigeante. Elles sont souvent mal payées, mal logées et mal nourries. Elles doivent veiller à l'entretien ménager de l'école, au chauffage du local et au déneigement. Leurs locaux n'offrent que le strict minimum et sont souvent mal isolés. En 1905, l'école de Sainte-Véronique a dû fermer ses portes parce que les enfants ne pouvaient plus supporter le froid hivernal ! Sans même avoir prononcé le vœu de pauvreté, l'institutrice en vit quotidiennement. Elle doit aller puiser l'eau au puits, à la rivière, ou chez le voisin, été comme hiver. Les toilettes sont à l'extérieur et elle doit constamment affronter les invasions de bestioles. Le soir, la journée de travail n'est pas finie. Il reste encore le ménage, la correction des devoirs et la planification des leçons du lendemain.

Puisque l'obligation scolaire n'apparaît qu'en 1943 au Québec, ce sont les parents qui décident d'envoyer ou non leurs enfants à l'école. L'institutrice est alors confrontée à une fréquentation scolaire aléatoire. À l'époque, il n'était pas rare qu'une école ne puisse ouvrir ses portes au début de septembre, parce qu'il n'y avait pas d'institutrice ou pas d'argent pour la payer. On tentait d'engager " au meilleur prix possible ", car le salaire provenait essentiellement des contribuables. L'instruction était une chose secon-daire, un luxe. Et ce n'était certainement pas grâce à elle, disait-on, qu'on ramenait du pain sur la table.

Il existe un écart salarial important entre les institutrices et les instituteurs. Dans les années 1850, les femmes touchent 40% du salaire des hommes. Si l'on peut le comparer à celui d'une domestique, il ne faut pas oublier que l'institutrice doit parfois acheter le bois de chauffage à même son salaire, tout comme elle doit entretenir l'école. De même, elle doit souvent accepter d'être payée en denrées agricoles. Elle est aussi moins bien payée qu'une institutrice qui enseigne dans une ville. Dans les années 1910, dans la région de Mont-Laurier, le salaire annuel tourne autour de 170$. De plus, les institutrices ne sont pas payées durant les vacances scolaires, ce qui les obligent à se chercher un emploi temporaire, soit sur une ferme ou soit comme domestique. Toutes ces conditions poussent l'institutrice à ne rester dans l'enseignement que quelques années, en attendant de se marier ou de trouver mieux.

Puisqu'il n'y a qu'une seule institutrice par rang ou par village, le poste est très convoité, d'autant plus que plusieurs institutrices n'ont pas d'emploi. C'est pourquoi les faits et gestes de la maîtresse d'école sont étroitement surveillés par les commissaires, les parents, les voisins et les curés. Un seul écart de conduite, même après les classes, peut lui valoir d'être renvoyée, pour cause d'immoralité ou pour avoir faire preuve d'une trop grande sévérité! En 1901, à l'Ascension, Mlle Camille Legault est engagée pour un salaire annuel de 90$. Toutefois, quelques mois plus tard, Mlle Carmen Filiatreault s'offre à meilleur marché, d'autant plus qu'elle possède un bon certificat du curé de la mission.

L'institutrice doit également faire face à la cléricalisation de la profession. De plus en plus de villages se tournent vers une communauté religieuse pour prendre en charge l'éducation des enfants. La religieuse, contrairement à l'institutrice laïque, bénéficie d'une sécurité d'emploi, de la garantie d'avoir un poste, un gîte et un couvert, et ce jusqu'à sa mort.

C'est pour toutes ces raisons que les institutrices vont tenter, dans les années 1930, de se regrouper et de faire valoir leurs revendications. Des associations voient le jour et réclament de meilleurs salaires, de meilleures conditions de travail et de vie. Dès 1936, l'institutrice de La Malbaie, Laure Gaudreault, s'attèle à la tâche de regrouper ses consœurs au sein de l'Association catholique des institutrices rurales. Chaque district voit bientôt une association se former. Le district numéro 9, celui de Mont-Laurier, voit la sienne prendre vie en 1939, après une visite que fait l'instigatrice à Mgr Limoges, évêque du diocèse de Mont-Laurier. À l'époque, les syndicats n'ont pas encore tout l'assentiment du clergé et chaque association a besoin de l'approbation de l'évêque pour survivre. Ces associations vont bientôt donner vie à la Fédération catholique des institutrices rurales. Dès lors, ses membres s'acharnent à acquérir de meilleures conditions. Durant les décennies qui suivent, grâce à leurs luttes, les institutrices rurales verront leurs conditions s'améliorer. Déjà, dans les années 1940, leur salaire a plus que doublé !

Cet article aura contribué, je l'espère, à rendre hommage à une génération de femmes qui se sont donné corps et âme dans cette vocation, afin d'instruire les enfants de nos campagnes. Plusieurs d'entre elles ont passé leur vie dans ces écoles de rang, dans des conditions parfois très pénibles. Les écoles de rang disparaîtront peu à peu pour laisser la place à des écoles centralisées et à nos fameuses polyvalentes. Toutefois, s'il vous arrive d'aller vous balader dans les rangs éloignés de Mont-Laurier, de Ferme-Neuve, de Lac-des-Îles ou de Kiamika, vous verrez peut-être les vestiges de cette époque désormais révolue et vous aurez une petite pensée pour ces institutrices rurales...

Geneviève Piché




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