Entrevue réalisée par la Télé communautaire, canal Vox
QUESTION: Dans le cadre de l'Histoire de Mont-Laurier, nous verrons aujourd'hui l'histoire des institutrices d'autrefois. Simone, vous étiez une institutrice dans les années... est-ce que vous pouvez nous situer ?
SIMONE: J'ai débuté ma carrière à l'automne 1937.
QUESTION: Vous aviez quel âge à ce moment-là ?
SIMONE: J'avais 18 ans.
QUESTION: Dans quelles conditions, à ce moment-là, une institutrice se trouvait-elle ? Parlons de l'école tout d'abord. Pouvez-vous nous décrire un peu l'école, ce qui s'y trouvait à l'intérieur, et tout ça.
SIMONE: Disons que c'était une école plutôt modeste, mais quand même si je regarde les autres écoles de l'époque, c'était une école qui était quand même parmi, peut-être, les mieux favorisées, les mieux nanties. Maintenant, disons que nous n'avions à l'école ni électricité ni eau courante. Même l'école était très peu chauffée, en dehors des heures de classe. Je devais me rendre à l'école très à bonne heure, l'hiver, pour attiser le feu pour que l'école soit prête pour recevoir les élèves pour la classe.
QUESTION: Maintenant au niveau de l'organisation de l'école, les pupitres, tout ça, est-ce que vous aviez tout ce qu'il vous fallait ?
SIMONE: Non, loin de là. J'ai vu des années où il manquait six à huit pupitres pour les élèves. On avait jusqu'à 44 élèves. Il manquait des pupitres, alors les enfants devaient rester assis sur un banc en attendant que leurs compagnons donnent leur place, quand ils venaient recevoir des leçons, au bureau, durant que je leur enseignais certaines matières.
QUESTION: Aujourd'hui, ils ont des cahiers pour écrire, des volumes en profusion. Alors comment ça se passait à ce moment-là, au début ?
SIMONE: Sur le plan des volumes, naturellement, nous n'avions pas la gratuité des livres, alors les parents devaient payer eux-mêmes les livres et les cahiers. Alors les enfants passaient leurs volumes du plus vieux aux plus jeunes, d'année en année. Quant aux cahiers, bien, on utilisait beaucoup les ardoises qui ménagaient les cahiers. Maintenant, à l'école où j'étais, les enfants n'ont jamais été privés des articles nécessaires à la classe, j'entends livres et cahiers. On était quand même dans un rang où les parents avaient la possibilité de fournir aux élèves tout le nécessaire.
QUESTION: Maintenant, est-ce que ce serait indiscret de vous demander, à ce moment-là, quel était votre salaire ?
SIMONE: Non, du tout. Je recevais 300 $ par année, exactement.
QUESTION: Maintenant, vous deviez faire le ménage pour avoir un petit surplus ?
SIMONE: Je devais entretenir l'école. Nous étions libres de faire le ménage, ou de pas le faire. Mais quand nous le prenions, le salaire était bien fixé d'avance. C'était 10 $ par année. Ça voulait dire ça qu'à tous les quinze jours, ou au moins à tous les mois, il fallait laver le plancher, faire le grand ménage.
QUESTION: C'était quelle sorte de plancher ?
SIMONE: Nous avions des planchers de bois franc qu'il fallait laver avec une brosse, à genoux, et ça prenait quatre heures à laver le plancher.
QUESTION : Alors j'imagine que l'institutrice, quand même, qui avait à faire ça, avait à le faire après sa journée ?
SIMONE: C'est ça. Il fallait commencer à quatre heures, et nous en avions pour une " secousse " avant de terminer.
QUESTION: Au niveau de l'eau, comment ça fonctionnait ?
SIMONE : L'eau ? Malheureusement, dans ce temps-là, nous n'avions pas d'unité sanitaire existante. Nous prenions l'eau de la rivière, au début, que nous charroyions au seau à partir de la rivière. Maintenant, un peu plus tard, quand les unités sanitaires de Mont-Laurier ont commencé à fonctionner, on a découvert que l'eau de la rivière n'était pas potable. A ce moment-là, on a continué à charroyer de l'eau qui venait d'une source, de chez le voisin qui avait une source, alors on allait la chercher au seau.
QUESTION: Le repas du midi, avec les enfants, comment ça se passait ?
SIMONE: C'était assez compliqué parce que j'étais la seule institutrice dans l'école alors les enfants le midi prenaient leur diner dans la classe ; nous n'avions pas d'autres salles, et moi-même, bien, je m'apportais un sandwich et puis j'allais dîner bien rapidement. Des fois je prenais quatre ou cinq minutes pour dîner, à ma cuisine, en haut, tout en ayant un œil sur ce qui se passait en bas. En descendant parfois deux ou trois fois, à travers ça, pour voir si réellement tout fonctionnait.
QUESTION: Maintenant, au niveau des classes, êtes-vous capable de nous situer à peu près la grandeur que l'école pouvait avoir, parce en fin de compte vous aviez tous les degrés de scolarité. Alors combien ça faisait ?
SIMONE: La grandeur exactement, disons que c'était peut-être un 30 pieds par 32 pieds, la dimension de l'école. Je sais que dans ce temps-là, fallait un pied de cube d'air par élève qu'on devait respecter. Maintenant les années où j'avais 44 élèves dans l'école, il n'y avait pas assez... Par contre, il neigeait dans l'école, parfois l'hiver, alors j'imagine que l'air se changeait assez rapidement et que ça compensait. Je pense qu'on avait de l'air pur quand même.
QUESTION: Maintenant, j'imagine que pour être institutrice dans ces écoles d'antan d'autrefois, il fallait quand même avoir une très bonne santé ?
SIMONE: Oui. C'est évident qu'il fallait avoir une très bonne santé parce qu'on travaillait du matin au soir. On retournait à la maison avec une valise chargée de livres, fallait presque recommencer une journée, préparer la classe du lendemain...
QUESTION: Quel genre de cours était donné aux enfants ?
SIMONE : Disons d'abord qu'il y a eu des années où j'ai eu de la première à la neuvième année, à l'école. Alors fallait partager notre temps pour enseigner à tous les élèves. Il y avait d'abord l'enseignement religieux qui devait primer. Le matin, je donnais la leçon de catéchisme à tout le monde que j'essayais d'adapter un peu à chaque degré. Comme lorsqu'on préparait les enfants pour la Première communion, la Confirmation, bien là, on prenait les petits en particulier pour les préparer d'une façon spéciale.
QUESTION: Y avait aussi la Communion solonnelle...
SIMONE: Il y avait la Communion solonnelle. Pour celle-là, nous nous en occupions beaucoup moins parce que M. Le curé nous volait nos p'tits pendant un mois. A ce moment-là, les enfants marchaient au catéchisme, vous connaissez sûrement ça ? Alors ils ne faisaient que du catéchisme durant un mois, alors je me reposais un peu là-dessus. Je me disais que si j'en faisais un peu moins, bien Monsieur le curé allait faire le reste. Ensuite, pour les autres matières, je prenais les classes, classe par classe, à mon pupitre, au tableau, et puis durant ce temps-là, les autres classes travaillaient, faisaient du travail personnel à leur place. Alors on leur donnait des exercices à faire, des mathématiques. Si ça avait été expliqué, l'enfant continuait seul. Ils travaillaient beaucoup seuls, ils faisaient énormément de travail personnel. Ensuite, il y a peut-être une autre chose qui vous intéresserait de savoir, c'est que nos grands de 7e et même de 9e année, nos grandes surtout, parce que je prenais surtout des filles, nous aidaient pour expliquer aux plus jeunes. Un moment donné, quand j'avais donné une leçon, bien, une grande de 7e année prenait les petits de première année, au tableau et les faisait écrire. Et ça reposait l'enfant pis quand même il en y avait qui avaient beaucoup d'aptitudes.
QUESTION: Maintenant, il y avait aussi, en plus des matières de base, ce qu'on appelle les grosses matières, comme français et mathématiques, il y avait des matières qu'on appellait connaissances usuelles. Et vous prépariez quand même les enfants à la vie, parce que la majorité des enfants terminait leur classe après les quelques années de l'élémentaire.
SIMONE: Oui, c'est justement. Ça nous demandait beaucoup plus, parce que nous savions très bien que quand les enfants laisseraient l'école, qu'ils avaient leur bagage pour la vie. Alors, on considérait, moi en tout cas, je considérais le cours primaire comme terminal pour la plupart des enfants. Alors je trouvais absolument nécessaire de leur enseigner à peu près de tout, tout ce dont ils auraient besoin plus tard. Alors on avait les matières de base, disons, ensuite, on avait beaucoup de petites matières aussi. Par exemple, l'agriculture puisque c'était des enfants de la terre, l'instruction civique, des connaissances usuelles comme l'hygiène, la bienséance, l'économie domestique... Je dois même vous dire que sur le plan économie domestique, les enfants, souvent, les petites filles faisaient à la maison des recettes qu'on avait étudiées en classe, cuisinaient à la maison et elles étaient heureuses de me dire si elles avaient réussi.
Aussi, je me souviens qu'une année, j'avais acheté une machine à coudre pour enseigner la couture à mes élèves. Ça m'avait coûté quand même 39 piastres, ça paraît pas gros, mais c'était un mois de salaire et plus, à ce moment-là. Alors nos petites filles, à l'école, apprenaient à coudre ; je leur rapportais des patrons et elles apprenaient à tailler leur matériel, à coudre à la machine, à faire des petites robes. Les filles apprenaient aussi le tricot, et même le métier à tisser. J'ai eu de mes anciennes élèves qui sont allées par la suite à l'École ménagère de Nominingue puis sont revenues à l'école m'aider à ourdir des pièces sur le métier.
Les fermières du temps me prêtaient leur métier à tisser et puis nos p'tits bouts de choux, nos petites filles de 6-8 ans, 10 ans, étaient toutes heureuses de tisser, comme des sacs à ouvrage, des petits foulards qu'elles rapportaient à la maison. Ça leur faisait plaisir. De même, elles apprenaient à tricoter.
Il n'y avait pas une enfant, une fille de 6e année qui partait de l'école, ou à peu près pas, sans savoir tricoter une paire de bas, une paire de mitaines, au moins. Ça les occupait et pendant ce temps-là, nos garçons, eux autres, et bien, découpaient, faisaient des petits travaux de découpage sur du " veneer ". La manufacture de placage (Bellerive Veneer & Plywood) nous fournissait bien généreusement des restes de veneer qu'on apportait à l'école. Puis j'avais une quantité de modèles qu'on décalquait sur une planche de veneer et l'enfant taillait ça à la machine à découper, une petite machine à pédale que j'avais à l'école. D'autres avaient des petites scies à découper. Je peux vous dire que bien des matins j'ai eu des garçons qui sont arrivés à l'école à 7 h et quart, 7 h et demie, pour pouvoir utiliser la machine à découper parce qu'ils l'avaient chacun leur tour. Et en fin d'année, on faisait une exposition. Je me souviens d'une année où on avait eu 200 morceaux à l'exposition, autant des pièces de découpage, des paniers à ouvrage, des décorations de parterre, des porte-pipes, des sous-plats ; toutes sortes de petites choses qu'ils faisaient. Et puis les filles mettaient à l'exposition leurs travaux de couture, et puis les parents venaient visiter, ça faisait plaisir à tout le monde.
Au début, c'était les premiers temps où on parlait de coopérative. Et puis, un moment donné, on avait fait... on avait parti à l'école un petit magasin coopératif pour les articles de classe. On vendait cahiers, crayons. Le libraire nous donnait un 10% d'escompte, alors on revendait, on faisait un petit peu de profit. Et avec les élèves on calculait la ristourne, leur chiffre d'affaires. Et à la distribution des prix, à la fin de l'année, on disait combien de profits ils avaient faits. Puis ils apprenaient comme ça comment fonctionne une coopérative. On avait aussi la caisse scolaire. Ils déposaient des sous, maintenant, ça ne fonctionnait pas avec la Caisse. Ils me faisaient confiance, puis l'argent était déposé en mon nom. On leur remettait.